Interview sur Challenges.fr par Laure-Emmanuelle Husson le 15 janvier 2019
© Challenges
Après le reportage de Capital de dimanche qui montrait que la filiale française du géant américain mettait à la poubelle des invendus, la secrétaire d’Etat Brune Poirson a annoncé lundi un projet de loi pour interdire cette pratique. Explications de Sylvain Pelletreau, avocat spécialisé en droit de l’Environnement et chargé d’enseignement à l’université Panthéon-Sorbonne.
Challenges – Que dit la loi concernant la gestion des invendus?
Sylvain Pelletreau, avocat spécialisé en droit de l’Environnement et chargé d’enseignement à l’université Panthéon-Sorbonne: À ma connaissance, rien! Il n’est donc pas interdit de les jeter comme l’a montré le reportage de Capital. Les clauses dans les contrats signés entre Amazon et les vendeurs tiers indiquant que les invendus seront soient renvoyés aux vendeurs tiers, soient jetées, sont ainsi effectivement légales, mais au sens où elles ne sont pas interdites. Cela ne signifie donc pas que c’est une pratique autorisée explicitement mais plutôt qu’il existe un vide juridique.
Le cœur du problème réside plutôt à mon sens dans la destinée de ces invendus car ces produits pourraient encore être utilisés. Et si rien n’interdit de les jeter, tout oblige à gérer ses déchets. Or, précisément, dès lors que ces invendus sont jetés par Amazon, ils deviennent des déchets au sens du code de l’environnement.
Amazon est une place de marché qui ne fait que stocker et vendre pour le compte de vendeurs tiers des produits. Le groupe est-il responsable des produits qu’il jette?
On peut considérer que la responsabilité incombe au vendeur tiers qui donne mandat à Amazon de jeter ses invendus mais en réalité les deux entreprises peuvent être jugées responsables. Le vendeur en tant que producteur du déchet (c’est lui qui demande de jeter ses invendus) et Amazon car c’est lui qui se défait effectivement de ces invendus qu’il détient dans ses entrepôts.
En tout état de cause, dès lors que des invendus sont jetés ou détruits, ils prennent la qualification de déchets et devront donc être traités conformément à la réglementation relative au droit des déchets. Amazon ne peut ainsi pas se défaire par exemple d’appareils électroniques sans respecter le principe de responsabilité élargie des producteurs qui impose notamment l’organisation d’une filière de traitement pour les équipements électriques et électroniques.
Comment pourrait-on interdire à une entreprise de jeter ses invendus?
Tel que je le perçois, Brune Poirson souhaite qu’un objet/bien ne devienne un déchet que par son usure, non par le fait qu’il ait été abandonné (jeté) avant d’avoir été utilisé. Ainsi, il ne serait plus possible de jeter des produits neufs ou encore consommables.
Si cette loi est appliquée, l’Etat a-t-il les moyens de contrôler son respect?
Si l’on regarde les chiffres, on peut en douter. Il existe environ 500.000 entreprises industrielles et agricoles classées pour l’impact de leur activité sur l’environnement en France, dont 1.200 installations dites Seveso, le degré le plus élevé de risques pour l’environnement. Or, il n’y a que 1.200 à 1.400 inspecteurs de l’environnement, soit environ un agent par entreprise Seveso! Ils n’ont en réalité pas les moyens de contrôler toutes les sociétés et se concentrent donc sur les entreprises les plus dangereuses et celles qui font l’objet de dénonciations ou d’accident. Il faudrait par ailleurs mettre en place un contrôle des ventes, des stocks et des rebuts, ce qui pourrait poser des difficultés de révélations d’informations jusqu’alors confidentielles.
Amazon avance le fait que les vendeurs doivent payer la TVA des produits qu’ils décident de donner à des associations pour être utilisés, ce qui n’encourage pas cette pratique. Est-ce vrai?
Amazon a peut-être des raisons pour dire cela. Cependant, si l’Etat veut favoriser le réemploi des invendus, il pourrait prévoir un mécanisme incitatif à cette fin.
A retrouver sur le lien suivant Interview de Laure-Emmanuelle Husson